Hélas, l’invalidation par le conseil d’État des arrêtés anti-burkini, dont nous nous réjouissons, profite à la stratégie de communication de nos adversaires. Les uns, conservateurs religieux, crieront victoire, banalisant et dépolitisant ce vêtement sexiste et opprimant, les autres, dans le camp de l’extrême-droite ou de la droite décomplexée, gémiront à l’islamisation de la France. Tous continueront d’instrumentaliser la liberté des femmes dans un souci de conquête du pouvoir.
Parce que nous sommes féministes, nous savons l’apport des luttes féministes à notre émancipation, nous combattons sans ambiguïté les dogmes puritains et politico-religieux dont les femmes ont toujours fait les frais. Le contexte de crise économique et politique permet aux différentes églises de croire que leur heure est venue et qu’elles peuvent enfin mettre à mal la laïcité qui a mis en échec leurs velléités politiques. Nous dénonçons toutes les mouvances réactionnaires comme Civitas qui vient de créer un parti politique, « SOS tout-petits », « les Survivants » qui dénient aux femmes le droit à disposer de leur corps, « la Manif pour tous »,« les Veilleurs », « l’observatoire de la théorie du genre » qui infiltre nos écoles, déstabilise le corps enseignant et les parents d’élèves, ou les tenants d’un islam politique qui négocient l’autorisation du voile à l’école ou des piscines non-mixtes, en se victimisant ensuite pour mieux embrigader celles et ceux qui n’en peuvent plus de la xénophobie, des discriminations et des relégations. Nous dénonçons aussi les odieuses humiliations publiques que subissent les femmes, victimes et non-prescriptrices des usages patriarcaux. Nous ne pouvons supporter de les voir subir une répression policière dictée par un climat sexiste et raciste.
Pourquoi ? Parce que nous défendons les droits des femmes et nous conscientisons l’oppression qui nous est faite. Pour beaucoup d’entre nous, les représentants de cet État invisible qu’est le patriarcat sont sous nos toits, incarnant l’autorité et la domination. Nos corps sont alors réduits à être des butins souvent au service de la reproduction, du plaisir sexuel unilatéral des hommes et de l’exploitation domestique. Toutes les stratégies machistes sont bonnes pour convaincre les femmes que leurs corps ne leur appartiennent pas. Comment en vouloir aux femmes d’élaborer des stratégies de survie, de se couvrir, de faire un détour pour rentrer chez elles, de céder à des normes injustes et contraignantes pour éviter le pire ? Et comment accepter de devoir composer avec de telles règles du jeu ?
L’émancipation des femmes est une rude tâche qui ne s’improvise pas. À l’école, nous déplorons la suppression des ABCD de l’égalité qui auraient pu inculquer à nos enfants des valeurs fortes d’anti-sexisme. Nous en sommes au 73ème féminicide depuis le début de l’année commis par le compagnon ou l’ex-compagnon. Une femme est violée toutes les 3 minutes, seulement 10% portent plainte et seuls 2% des violeurs sont condamnés ! Qui s’en soucie ?
Pour faire reculer les intégrismes et l’extrême-droite, pour faire avancer les droits des femmes, il est indispensable de briser les stéréotypes dès le plus jeune âge, de permettre un accès réel et libre aux droits sexuels et reproductifs, de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité politique dotée de moyens nécessaires et conséquents, d’interroger la manière dont est rendu le droit en matière de féminicides. Une volonté politique réelle qui ne se contente pas de promesses, qui ne se sert pas des droits des femmes pour une cause réactionnaire ou pour monter dans les sondages, qui place le féminisme en valeur cardinale.
Prendre le parti des femmes, ce n’est pas les renvoyer dos à dos avec leurs oppresseurs en les accusant d’endosser le drapeau du patriarcat et d’en être complices. Prendre le parti des femmes, ce n’est pas leur faire violence, les réprimer quand elles sont trop ou pas assez habillées, parce qu’elles sont encore les jouets du fétichisme sexuel des hommes selon les enjeux qui leur importent, politiques, religieux, économiques ou sexuels. Prendre le parti des femmes, c’est les défendre quand elles sont violentées, humiliées, menacées, c’est garantir les valeurs d’une laïcité non dévoyée, de réclamer de véritables moyens, éducatifs, économiques, de solidarité, afin de gagner l’émancipation de toutes. Et ce n’est en aucun cas avec des arrêtés ou sous les coups de sifflet d’hommes en uniforme que nous y parviendrons !
Fatima Benomar, porte-parole de l’association les Effronté-e-s
Hélène Bidard, adjointe à la Mairie de Paris à l’égalité femmes-hommes
Marjolaine Christien Charrière, militante féministe à Ensemble !
Laurence Cohen, Sénatrice, responsable nationale du PCF pour les Droits des femmes et le Féminisme.
Karine Plassard, militante féministe du collectif de soutien à Jacqueline Sauvage
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes