D’abord de la difficulté à porter plainte. Effectivement Jacqueline Sauvage n’a pas porté plainte comme environ 84% des femmes victimes de violences. Et cela lui a été reproché. Mais pour pouvoir porter plainte il faut un minimum avoir confiance en la justice. Visiblement ça n’est pas le cas des femmes victimes de violences. Mais la justice, qui devrait être le recours des plus vulnérables et des plus démuni-e-s, est-elle capable de s’interroger sur cet état de fait ?
Et si elle avait déposé plainte, et si elle avait demandé à bénéficier d’une ordonnance de protection, quelle aurait été la réponse ? Les ordonnances de protection sont-elles attribuées vraiment en urgence ? Y a -t-il suffisamment de places d’hébergement pour les femmes qui partent avec leurs enfants ? A ces deux questions nous savons bien que la réponse est non. Cette réponse est d’autant plus négative que les associations féministes qui gèrent l’hébergement et qui sont par définition à but non lucratif, voient leurs subventions rognées. Bien plus, elles qui ont acquis une véritable compétence se voient mises en concurrence lors d’appels d’offres avec des structures privées non spécialisées à but tout à fait lucratif.
Et puis l’hébergement ne fait pas tout. Les femmes sont amenées à revoir le bourreau qu’elles viennent de fuir dans le cadre du droit de visite pour les enfants. A ce moment là le chantage peut s’exercer de nouveau. La protection des victimes doit se concevoir sur le long terme.
On voit qu ’en amont les choses ne sont pas toujours aussi simples que de bons esprits le prétendent : « elle n’avait qu’à porter plainte ». Sans s’étendre trop sur le phénomène d’emprise qui vous glace le sang, anesthésie la pensée, vous plonge dans la sidération et vous empêche d’agir sans aide, tendue que vous êtes à voir d’où vont venir les coups la prochaine fois.
Et c’est ça aussi la question : tout le monde savait et n’a rien dit ou personne n’a rien vu. Ce qui du point de ce que la victime endure revient strictement au même. Mais c’est la société qui est coupable et non point elle.
Est ce que la solution est d’instaurer une « légitime défense différée » comme le préconise la députée Valérie Boyer ?
Stricto sensu Jacqueline Sauvage n’a pas pu bénéficier de la légitime défense puisqu’elle n’a pas tué son mari de façon concomitante aux derniers coups. Et que sa réaction a été disproportionnée. Mais cette Cour d’Assises, particulièrement hermétique aux violences conjugales, n’a absolument pas tenu compte du contexte global de ce que vivait Jacqueline Sauvage. Elle a jugé sans individualiser la peine. Plutôt que la « légitime défense différée » qui pourrait être utilisé n’importe comment, dans n’importe quelle circonstance, par n’importe qui et constituerait là pour le coup un véritable « permis de tuer » ne serait-il pas plus judicieux d’instaurer un « délit spécifique de violences conjugales » qui permettrait de regrouper tous les « types » de violences conjugales ( physiques, psychologiques, économiques, administratives) et permettrait d’historiciser au moins sur 3 ans, délai de prescription des délits, les violences subies. Le viol en tant que crime serait traité à part.
Ou bien de reprendre ce que les Canadien-ne-s appellent « syndrome de la femme battue », que nous renommerions « syndrome de la victime de violences conjugales ». Ce syndrome a été décrit par la professeure de droit d’Ottawa Elizabeth Sheehy. Elle dit que même si la menace n’est pas imminente, lorsque quelqu’un vit dans un régime de terreur, en l’occurrence de la violence conjugale qui dure depuis longtemps, l’ état d’esprit au moment du meurtre doit être pris en compte. Une décision de la Cour suprême du Canada en 1990 a confirmé l’utilisation du syndrome de la femme battue comme étant légitime.
Les pistes de réflexion ne manquent pas mais celle ci doit s’engager sans tarder.
La situation de Jacqueline Sauvage nous a toutes et tous ému-e-s. Mais notre émotion doit continuer à alimenter notre combat.
Les féministes savent bien que les lois sont incomplètes, qu’elles sont très mal appliquées, que les mauvaises pratiques procédurales minent à petits feux les victimes. Nous avons déjà analysé tout cela en détail.
En 2006 le Collectif National pour les Droits des Femmes a publié une loi proposition de loi-cadre qui a servi de base, mais grandement édulcoré, à la loi du 9 juillet 2010. C’est dans ces moments là d’ailleurs que l’on voit de près les immenses résistances de la société française. Cette proposition de loi-cadre, actualisée, est d’ailleurs toujours déposée sur le bureau du Sénat.
Aujourd’hui, 12 structures féministes, spécialisées sur les violences, ont mutualisé leurs revendications et ont élaboré une brochure intitulée « Mettre fin aux violences, ce que nous voulons » où elles font des propositions concrètes.
Les solutions sont donc identifiées pour mettre fin à ce qui constitue une vraie carence de la société française : la prise en compte des violences faites aux femmes. Il ne manque plus qu’un ferme volonté politique !!!