Collectif national pour les droits des femmes

Autonomie emploi précarité

Pour l’amélioration de la loi sur les 35 heures

Lettre ouverte à Martine Aubry

Ministre de l’Emploi et de la Solidarité

avril 1999

Par une lettre ouverte à Martine Aubry, que Le Monde publiera, le Collectif national pour les droits des femmes s’adresse à la ministre de l’Emploi et de la solidarité pour exprimer ses inquiétudes concernant certains aspects de la loi sur les 35 heures, et ses revendications à la veille de la deuxième loi Aubry.

5 octobre 1999

Lettre ouverte
à Madame Martine Aubry, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité

Madame la Ministre,

La loi sur la réduction du temps de travail représentait un grand espoir pour les femmes. Le temps libéré peut être un enjeu dans leur combat pour le partage des tâches domestiques. La création d’emplois et une plus juste répartition du temps de travail entre toutes et tous les concernent particulièrement car elles sont les plus frappées par le chômage et la précarité.

En France, les femmes sont entrées sur le marché du travail à temps plein. La crise économique n’a pas entamé leur volonté d’être salariées à part entière. Mais le patronat, incité par une série de lois qui favorisent le temps partiel par des exonérations de charges, a privilégié ce type d’embauche. Aujourd’hui, le travail à temps partiel, féminisé à 85 %, concerne plus de 3 millions de femmes, dont près de la moitié s’en disent insatisfaites.

Ce sont, pour la plupart, des salariées pauvres (qui perçoivent 2500 F à 4000 F par mois en moyenne), victimes d’une grande élasticité des horaires. Flexibilité et annualisation entraînent des difficultés accrues pour gérer leur temps, alors qu’il leur faut souvent pallier l’insuffisance des crèches. Leur marginalisation qui s’appuie sur la notion, injuste et pourtant persistante, de "salaire d’appoint", alors même qu’elles sont souvent seules en charge d’une famille, ou dans un ménage à faibles revenus, entraîne des effets en chaîne : ce travail à temps partiel, c’est aussi du chômage partiel non reconnu, ce sera une retraite partielle.

Bien qu’attachées à l’emploi, mais sans perspectives, certaines sont tentées par le retour à la maison. L’allocation parentale d’éducation, octroyée à partir du 3ème enfant, puis du 2ème, devient plus attrayante qu’un demi SMIC. 520 000 femmes l’ont perçue en 1997.

Nous espérions que la loi sur les 35 heures limiterait le temps partiel imposé et permettrait aux femmes d’exercer leur droit à l’emploi à temps plein. Or, l’alignement de la France sur la définition européenne du temps partiel, à partir de la première heure en-dessous de l’horaire légal, nous paraît dangereuse. Elle risque de créer un nouvel effet d’aubaine pour les employeurs qui pourraient embaucher à 34 heures et bénéficier des exonérations pour le temps partiel.

Le projet de loi n’en autorise pas le cumul avec l’aide structurelle à la réduction du temps de travail, mais nous vous demandons de clarifier la situation en supprimant purement et simplement les exonérations patronales pour le temps partiel, ainsi d’ailleurs que sur les bas salaires. La deuxième loi doit également assurer aux salarié-e-s à temps partiel le passage au temps plein si elles ou ils le désirent.

Par ailleurs, les chiffres des accidents de travail et des maladies professionnelles sont au rouge. Liés au stress, ils touchent particulièrement les femmes soumises à l’intensification du travail qu’aggravent le temps partiel et l’annualisation. Il est indispensable de limiter sévèrement le nombre d’heures supplémentaires autorisées, de les taxer immédiatement à 25 %, et d’encadrer le nombre maximal d’heures travaillées par jour et par semaine, entre 31 et 39 heures, quel que soit le type de contrat. Les heures complémentaires doivent être payées comme des heures supplémentaires.
La création d’un double SMIC horaire serait très grave : si le salaire horaire n’est pas augmenté de 11, 4 % pour tous, celui des salarié-e-s à temps partiel sera réduit par rapport aux autres... pour une intensité de travail souvent supérieure.

Les femmes, cantonnées majoritairement dans des emplois à basse qualification, sont déjà exclues d’une formation qui profite principalement aux cadres, et en tout cas très peu aux temps partiels ; elles seront fortement pénalisées si la formation relative au développement professionnel est retirée du temps de travail effectif.

Pour combattre tous ces facteurs aggravant les inégalités hommes-femmes, le gouvernement de gauche se doit de dénoncer tous les accords d’entreprises qui développent la flexibilité au lieu de la freiner, de supprimer les exonérations patronales pour le temps partiel, de lier les aides structurelles à la création d’emploi, et d’accélérer le passage aux 35 heures, y compris pour les petites entreprises, largement féminisées, afin de se diriger dans un deuxième temps vers les 32 heures.

La deuxième loi doit tenir compte de ces différents points, sa réussite est à ce prix. Alors seulement, permettant une réduction significative du chômage, ainsi qu’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, elle peut avoir un effet d’entraînement et accélérer l’avènement de l’Europe sociale, plutôt qu’un alignement vers le bas.

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