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Marine Le Pen, le FN et le 8 mars
vendredi 10 mars 2017
La présidente du Front National a donné le 5 février dernier, lors de son discours de lancement de campagne à Lyon, la grille de lecture et l’idéologie qui sous-tend son programme. D’abord une opposition binaire entre « patriotes » et « mondialistes », ensuite une division des « mondialistes » en deux catégories qui se « feraient la courte échelle » : les « mondialistes » économiques (ce qui correspond à l’Union Européenne) et les « mondialistes » djihadistes (les islamistes).
C’est forte de cette grille de lecture que Marine Le Pen a abordé le 8 mars et la question des (droits des) femmes dans un billet de son carnet et dans une interview à RTL. Ainsi, selon elle, il n’y a que deux périls pour les femmes en France : les grandes entreprises multinationales qui organisent la précarité des femmes et les islamistes qui font reculer leurs droits.
Les tweets frontistes oscillent entre « Journée de la femme » et « journée des droits de la femme ». Cette femme au singulier, française évidemment, électrice surtout, est censée voir en Marine Le Pen la candidate de la femme. De la femme plus que de ses droits d’ailleurs, non parce que le programme frontiste la défend avec des mesures concrètes (il y a dans les 144 mesures trois lignes en tout et pour tout ) [1] mais parce que Marine Le Pen est une femme et que cela suffirait [2]
Les faiblesses du programme sur la condition des femmes sont pourtant manifestes. Sur le plan économique, d’abord parce qu’il délaisse complètement les femmes qui travaillent dans les petites structures, les PME/TPE, là où elles sont pourtant les plus présentes : le FN a choisi en effet de choyer les petits patrons en promettant moins de contraintes, moins de charges. Les droits des salariées en seront affectés, dans l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, dans les conditions de travail.
Ensuite parce que les violences économiques qui remettent en cause l’ordre établi n’intéressent pas le FN : il ne voit pas la ségrégation professionnelle, le fait que les femmes sont cantonnées dans une dizaine de familles de métiers sur quatre-vingt une et que ces métiers sont dévalorisés, peu reconnus et donc peu payés... Il ne propose rien sur les temps partiels, qui riment pourtant avec précarité des femmes. Le billet de la présidente du parti reprend par exemple la statistique de 17 % d’écarts de salaires en équivalent temps plein et non celle des 26 % liée à l’écart de salaires entre l’ensemble des femmes et l’ensemble des hommes. Elle se rend invisible ainsi les femmes à temps partiels, c’est-à-dire un tiers des femmes qui travaillent. Ainsi, les chiffres sur lesquels Marine Le Pen se base postulent d’emblée de très nombreuses inégalités et de manière contradictoire, elle écrit : « Je crois en cette valeur fondamentale qu’est l’égalité, je ne crois qu’en un seul principe : « à compétences égales, salaire égal et carrière égale » [3] , là où le principe directeur en la matière est « à travail de valeur égal, salaire égal », principe qui permet de comparer les métiers entre eux. Elle propose donc des reculs significatifs !
Enfin, sa proposition d’un plan pour l’égalité salariale, nulle part détaillée, est donc largement un effet d’annonce. Voyez vous-même la pensée magique à l’œuvre : « Je mettrai en place un plan national pour l’égalité salariale, afin que les femmes de notre pays aient rapidement un salaire équivalent à celui des hommes. Pour ce faire, je convoquerai tous les acteurs économiques – entreprises et syndicats – pour que nous trouvions rapidement un accord sur ce point. » Tout cela sans contraintes sur les entreprises…
Sur le plan des violences sexuelles, tout ce qui ne rentre pas dans sa grille de lecture anti-islamiste est délaissé, voir nié. Sujet qu’elle instrumentalise plus pour attaquer ses adversaires politiques des autres partis que pour proposer concrètement quelque chose. Plus grave, les violences conjugales ou les violences sexuelles en général n’intéressent pas Marine Le Pen. Elle alimente ainsi le « mythe du vrai viol », l’exclusive de l’inconnu (islamiste ?) dans la ruelle, alors que la plupart des violences s’exercent dans l’entourage familial. C’est au nom de ce mythe que régulièrement, des femmes qui veulent porter plainte pour viol ne sont pas crues : la violence qu’elles ont subies ne correspondant pas au mythe. Le programme du FN n’est donc pas seulement pas du tout à la hauteur de l’enjeu, mais il est même dangereux pour les femmes.
La fin de son billet sur son blog est rédigé ainsi : « Au-delà des femmes qui sont les premières concernées, il doit être celui de tous les Français attachés à nos valeurs de civilisation. Avec moi, au pays de Brigitte Bardot, les femmes resteront libres ! ». Depuis ce 5 février, Marine Le Pen a en effet choisi de revenir aux fondamentaux de l’extrême droite, c’est au nom de la défense de la civilisation (patriarcale) qu’elle prétend défendre les femmes. Message diffusé différemment selon les cibles visées, son nouveau soutien Philippe de Villiers le prendra d’une certaine façon, le petit « Cercle Fraternité » expliquera qu’il s’agit là du « vrai féminisme ».
On rappellera tout ceci étant dit que le FN, à chaque fois qu’il a eu l’occasion de voter des textes en faveur des droits des femmes, s’y est opposé, à tous les échelons. Tout cela prêterait donc à sourire si la question traitée n’était pas aussi importante.